samedi 27 mai 2017

Chloé radioactive




C'est l'horreur. L'horreur dans toute sa laideur. C'est ta vie. Étriquée. Ta petite vie code-barre à la con. C'est l'horreur quotidienne. La petite douchette. Ta vie de salariée. Le quotidien béant qui ne donne aucun frisson. Ce boulot qui te fait chier mais que tu n’arriverais pas à quitter. C’est surtout ça l’horreur. La frustration. 

Tu viens de rentrer à trente kilomètres heure. Sans un mot. Tu n’as pas répondu au téléphone qui sonnait. C’était Isa. Et puis Chiara.
Il fait sombre mais tu n’allumes rien d’autre que ton pc. La musique. Ouvre la porte-fenêtre. Canapé. Un journal traîne sur la table basse. Les racines des nuages tremblent dans la télé éteinte. Tu grindes de la weed. 
Je suis peut-être une machine.
Une putain de machine. Une putain-machine. Une machine à bas résille tendu sur des composants.
Je suis peut-être un animal.
Je suis sûr que je suis en cage.
Je vais dans la barre des favoris et clique sur le site.
Nous sommes une agence.
Des professionnels. Vous pouvez commencer dès la semaine prochaine.
Les modalités sont simplifiées, on fait moitié/ moitié sur tous tes gains.

https://www.youtube.com/watch?v=cwI0gbGEyuI&index=15&list=LLGz9XXuWYft7ARrnsWZ6weA

(...)
Inadaptée à ta société, à ta télé, à tes émissions, à tes vacances, à tes cafés gourmands, à tes crédits, à ta maison, à ton canapé, à ta machine à laver, à tes voitures, à ton souffle, à ton haleine, à ta submersion, à ta peau ridée, à ta mère. Inadaptée à ton monde. Tes préoccupations. Tes séries. Tes dégustations de vin. Tes vacances en Grèce. En Guadeloupe. Et à Saint-Martin.
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(Retrouvez le texte intégral ici : https://editionsdupontdeleurope.eproshopping.fr/1155013-concrete-jungle-cyrill-chatelain.html)

samedi 20 mai 2017

Matrix City Blues (5.1)



(…)

Slow. Bluesy beat. J’allume une cigarette. Voix hantées. La fumée serpente dans la lumière bleue. I wanna tell you about Texas Radio and the Big Beat – la basse roule, une autre gémit, infra-riff de blues, cymbale, guitare en delay, seul un spot est braqué sur le chanteur, le bar est dans l’obscurité, la foule mouvante, cool & snow, je reviens des toilettes. J’ai trouvé par hasard, mais il n’y a pas de hasard, un gars qui sniffait au bord des lavabos. 
« T’en veux ? Elle est terrible ! » 
L’impression qu’il y a plus de monde dans la boîte. De bruit. D’agitation. Il fait chaud. Western dream. Break de batterie. Le chanteur tout en noir, voix off sur la musique. Le hasard n’existe pas. Je ne sais pas combien de fois tu m’as dit des trucs dans ce style-là. Station orbitale Bar Blues. Sous la neige.
« Tu sais chéri, ne t’attache pas.
-      Pourquoi tu dis ça tout le temps ? 
-      Parce que je ne sais pas de quoi demain sera fait. 
-      Ça veut dire quoi ? 
-      Ça veut dire : carpe diem. »

https://www.youtube.com/watch?v=3MbXcef8JQY&index=9&list=PLTLWlUmI9rlVi8XWWNGBsSgh2Bsswpi7t
Je bois en regardant des ombres. Comme dans un vieux rêve blues. Je n’ai pas le souvenir de faire autre chose. Guitares en delay. Mon quotidien se résume à ça. La cymbale régulière. Etre là. Etre là à me spoiler l’histoire en stop-motion. Comme dans un drug-bar. The voices of singing women calls us – sans arrêt. Une cartouche de blues. Mettez-moi l’identité d’un type qui a le blues. Psyché blues. Prends la pilule bleue. Live with us – pousse les portes du saloon. Commande un whisky, puis un autre et un autre. Mon amour électrique. Le dance-floor dans les spots incendiaires. Reste là. A ressasser. Recycler. Renifler les corps kaléidoscopes, les ombres qui dansent sous les spots.
J’entends des voix. Je dois vraiment être cinglé. J’ai développé une tristesse qui n’en finit pas de se dérouler. Addict à l’inaccessible.  Aspiré. Bloqué. One morning, you awoke.
Autour de moi, je vois toujours les mêmes personnes. Sur ma droite, quatre mecs réunis autour d’une bouteille de bourbon. A ma gauche, un couple plutôt classique qui boit du champagne dans la pénombre. Devant moi, plusieurs mecs attablés seuls tournés vers la scène. La musique accélère. Ton absence résonne à ma table peuplée de verres vides. Comme dans une sitcom. Une série B. Une pub pour n’importe quoi.   
Je retourne aux toilettes.

(…)

samedi 13 mai 2017

Matrix City Blues (4.3)

(...)



« J’ai l’impression de t’avoir toujours connu.»
Je fais du sur-place. Je fais tourner les glaçons dans mon verre. Ta voix quelque part se mêle à celle du chanteur. Obsession morbide. I put a spell on you. Ce n’est plus le même bar en vérité. ‘Cause you’re mine. Le monde se solidifie en une lente torsion complexe gelant paysages, rues, respirations. Le monde, bloc mort.
Le blues alimente le blues alimente le blues alimente le blues. Sur-place. Revenant ici chaque soir. Répétant la même situation syncopée : le blues dans le bar, comme une vieille chanson enfouie au fond de toi depuis toujours, comme un truc que tu connais obscurément, comme les linéaments d’une prédisposition génétique. Le blues, ça fonctionne comme un track sur pause, un logiciel programmé dans ton disque dur. Un track prêt à faire feu. Un truc nucléique qui se déclenchera à coup sûr à un moment donné. Expérience de Milton sous RC inconnu. Le degré de fluor dans le cerveau est probablement maximal. Tes neurorécepteurs n’attendaient que ça. Ne pas utiliser sans connaissance des effets secondaires. Le blues est un track dont on ne sort pas.
J’allume une cigarette. Le blues mec, fume dans les spots bleus. Un trip dont on ne sort pas. La cérémonie n’est pas du tout sur le point de finir. J’allume une cigarette. Elle recommence sans cesse. Bruits des voix diluées en boucle.


« J’ai l’impression de t’avoir toujours connu.»
Je fais du sur-place. Je fais tourner les voix que j’entends dans mon verre. Subliminales. J’habite un temps chimique enroulé sur lui-même. Riff de blues dans le bar, noyé dans le single barrel. Just a little spoon of your precious love will satisfy my soul. Ce n’est plus le même bar en vérité. Une autre substance se répand derrière le concert. Tu sais, je vois des trucs, j’entends des voix de plus en plus. Et l’odeur. L’odeur palimpseste d’un couloir d’hôpital, l’éther dans la fumée. Réseau fou. Envie d’un plan hot en toute discrétion ce soir. N’attends plus, prends ton téléphone. C’est ça le blues. Un éclat de métal froid collé à un aimant. Je ne pense qu’à toi ici. Toi ici, toi avec moi, ici, mais dans une autre vie.
Fréquences binaurales. Tu nous entends ?
La musique déformée sort d’un scratch comme une fumée de cigarette s’élevant d’un tabouret en jarretelles. Le bar bruisse dans la gamme blues. Des cendres tombent des boules à facettes. Tout est vrai. Chuchote. Chut. Ne m’éveille pas. La basse joue deux notes. Doucement. Je veux rester dans tes bras. Ne parle pas. Chut.
J’enchaîne chaîne, chaîne les verres. Les clopes. Just a little spoon of your precious love ; is that enough for me ? Je prendrais bien un peu de dope. De la coke. Ou de la MD. N’importe quoi en fait.
Ce que je veux te dire c’est que depuis que tu as disparu, je suis en bad. Je tremble de l’intérieur. Je te cherche. Non. Je t’attends. J’imagine que tu pourrais revenir ici. Et puis en vrai je ne sais rien.
Syncope.  
Let me tell you a story. Seul à ma table. About a little girl i know. Le blues sépia when she walks into a room, cette musique que nous écoutions ensemble. C’est comme si tu étais là. You know she steals the show. Le présent confondu, flou, fuyant, glissant. Multi-changeant. She’s crazy. Ouais, je prendrais bien un peu de dope. Pour oublier évidemment. Oublier ce putain de blues, toutes ces étoiles qui transpercent mes nuits et le plafond de la boîte. Nous aurions pu. La musique déformée comme un vinyle qui repart dans un autre espace-temps.
Du blues plein le bar. Tu n’es pas là. Du blues partout. Je bois du blues. Je fume du blues. Je suis blues. Je coche homme. Age. Célibataire. Affection. Traitement. Des points que vous voudriez aborder : le blues me donne des frissons.


(...)